Araméen ou Romain ?
Au début de la parasha Ki-Tavo figurent les quatre versets de Deutéronome 26 repris et commentés dans la Haggadah de Pessa’h.
Le premier de ces versets est :
5 Tu prendras encore la parole, et tu diras devant l’Eternel, ton Dieu : Mon père était un Araméen nomade; il descendit en Egypte avec peu de gens, et il y fixa son séjour; là, il devint une nation grande, puissante et nombreuse.
Le passage traduit ici (Louis Segond) par « Mon père était un Araméen nomade » est dans le texte: אֲרַמִּי אֹבֵד אָבִי, ARMY ABD ABY, Arami Oved Avi. Le verbe אֹבֵד, ABD, Oved, signifie « se perdre, être perdu » au sens de « périr ».
Chouraqui traduit par « Arami perdu, mon père …« , Darby par « Mon père était un Araméen qui périssait« , Samuel Cahen par « mon père l’Araméen était errant« , le Rabbinat par « Enfant d’Aram, mon père était errant« . Dans ces traductions, Jacob, qui « descendit en Egypte » semble être tout à la fois « mon père » et « Araméen ».
Le mot Aram, ARM, comme AB-RM, qualifié d’ « hébreu » en Genèse 14,13 (לְאַבְרָם הָעִבְרִי), contient la syllabe RM, « haut ». Le personnage qualifié par la Torah d’Araméen, c’est Laban, beau-père de Jacob. Du coup le Targoum (traduction commentée de la Torah en… araméen) comprend : « l’Araméen voulait tuer mon père. »
Les démêlés avec “RoMa”, autre “Ville haute” (aux sept collines), sont passés par là. “Araméen” devient un nom codé pour “Romain” : le Romain, ce “hautain”, en tuant mon père, veut me priver de mon identité. La Haggadah lue chaque année pendant le Seder de Pessa’h applique le verset à Laban dans un parallèle saisissant avec Pharaon : “Considérons ce que Laban l’Araméen méditait de faire à Jacob, notre père : Pharaon, dans ses ordres cruels, ne visait que les enfants mâles, tandis que Laban voulait tout détruire, comme il est dit : ARMY ABD ABY, Arami Oved Avi.”
En voulant accaparer la descendance de Jacob, Laban “tue dans l’œuf” toute idée de “peuple d’Israël”. Pour Laban, une descendance ne forme pas un peuple distinct. Il est araméen, il parle araméen, ses descendants seront araméens et parleront araméen. Rachi, cité sur Sefarim, va dans ce sens : « L’Arami voulait faire aller mon père à sa perte » – Lavan voulait déraciner la totalité [d’Israël] lorsqu’il a poursuivi Ya‘aqov. Et puisqu’il a eu l’intention de le faire, Hachem le lui a porté à son compte comme s’il l’avait fait effectivement. Car le Saint béni soit-Il porte à leur compte les intentions des idolâtres comme s’ils les avaient mises à exécution.
Pourim et le Livre d’Esther dénoncent le risque pour les Juifs de s’assimiler à la Perse ; Hanoucca et le Livre des Maccabées à la Grèce ; la Haggada de Pessa’h au monde romain. Le nôtre.