Montées de « Qora’h »
Révolte et châtiment de Qora’h
1) Sédition de Qora’h, lévite, et de deux cent cinquante hommes, face à Moché et Aaron. Selon nos commentateurs, Qora’h convoitait la prêtrise conférée à Aaron, selon lui, non sur ordre divin, mais par décision personnelle de Moïse (due à leur lien de parenté). Il est intéressant d’observer la démagogie de ce personnage, qui met en avant que tous les hébreux sont égaux devant Dieu, pour reprocher à Moïse et son frère d’avoir accaparé le pouvoir, alors que lui-même désire accéder à ce pouvoir. Moïse réagit en deux temps. Après leur avoir proposé une « épreuve du feu », en leur demandant de se munir de brasiers et de parfum à consumer (la Qetoret que seuls les prêtres avaient le droit de pratiquer), il démontre leur désir insatiable de pouvoir puisque les lévites ont déjà des fonctions qui les distinguent des béné Israël.
2) L’épreuve de vérité est fixée au lendemain matin (en espérant que la nuit leur porterait conseil, comme dit le dicton).
3) Moïse « empêche » Dieu d’anéantir tout le peuple hébreu, alors que les coupables sont identifiés (1). Moïse exhorte la communauté de s’écarter des tentes des séditieux. Moïse prie alors pour qu’une mort surnaturelle les frappe, demandant que la terre s’ouvre sous leurs pieds pour les engloutir avec tous leurs biens. Ce qui sera la preuve de leur mauvaise foi. A peine a-t-il achevé de parler que cela se réalise. Un feu consume les deux cent cinquante complices qui avaient offert l’encens. Ces brasiers sont intégrés à l’autel afin de rappeler que seuls les prêtres peuvent les manipuler. Le peuple se rebelle contre Moïse et Aaron, les accusant d’avoir semé la mort.
4) Une épidémie ravage alors le peuple, qui cesse grâce à l’intervention d’Aaron, muni de la Qetoret. 14.700 personnes auront péri suite à ce fléau. Rabbi Israël Abouhatsera, plus connu sous le nom de Baba Salé (2), propose un commentaire sur le verset 13 de cette montée, qui gagne à être connu. « Il (Aaron) s’interposa entre les morts et les vivants, et la mortalité s’arrêta ». Il s’agit ici de l’argument dont usa Aaron pour apaiser la colère divine. Tant qu’un homme est vivant, il peut, à n’importe quel moment faire Téchouva (« se repentir »), même si, présentement, il se conduit mal. Au nom de ce futur possible, accorde-lui ta mansuétude !
5) Afin d’affirmer à nouveau que le choix d’Aaron pour la prêtrise ne fut pas celui d’un homme, mais celui de Dieu, Moïse s’en remet à un miracle (moins violent, je vous rassure) : tous les chefs de tribus et Aaron, disposeront des bâtons comportant le nom de chacun (3), dans le sanctuaire. Le bâton qui fleurira le lendemain sera l’élu pour la prêtrise. Seul le bâton d’Aaron fleurit, donnant même des amandes.
6) L’on apprend que les prêtres et les lévites devaient empêcher les enfants d’Israël de s’approcher du sanctuaire, risquant la mort. « Taxes » (4) des Cohanim prélevées sur les sacrifices des béné Israël, dont les premiers-nés (voir « Etincelles de mémoire »). En contrepartie, les prêtres n’auront pas d’héritage territorial avec les autres tribus.
7) Dîme au profit des léviim, qui, comme les prêtres, n’ont pas de patrimoine foncier. Les lévites devaient rétrocéder une dîme aux prêtres.
La Haftara corrélée à la Paracha :
Comme Moïse face à l’assemblée de Qora’h, le prophète Samuel, qui investit le premier roi d’Israël, Saül (Shaoul), se prévaut de la probité dont il fit preuve durant son sacerdoce au service du peuple, agissant dans un bénévolat absolu. Samuel approche alors du terme de son existence, et répond à la demande du peuple qui réclamait un roi. Nous sommes vers l’an -1030.
L’énigme de la Paracha :
Un personnage, cité nommément comme associé de Qora’h, dans le premier verset de notre section, On fils de Pelete, a disparu dans la suite du récit, et n’a donc pas, vraisemblablement, connu le sort de Qora’h et de ses complices. Pourquoi et comment ?
Etincelles de mémoire :
– Le commandement du « rachat des premiers-nés », au prix de cinq sicles d’argent, se pratique toujours, incombant au père non Cohen ni Lévi, d’un premier-né mâle, « à partir de l’âge d’un mois » (sixième montée). De nombreuses conditions doivent être réunies pour que ce rachat s’impose. Le repas qui suit l’accomplissement de cette mitsva, a, lui aussi, un caractère de mitsva, et est aussi important que le repas qui suit une circoncision. Si ce rachat n’a pas été réalisé dans le délai d’un mois échu, il faut le réaliser le plus rapidement possible, durant sa vie, jusqu’à sa mort. Rappelons que tout premier-né mâle appartient à Dieu, tant qu’il n’a pas été racheté à un Cohen, par son père, parce que Dieu épargna en Egypte les premiers-nés mâles hébreux, lorsqu’il décima les premiers-nés égyptiens lors de la plaie dite « des premiers-nés ». A compter de ce jour, en gage de reconnaissance à Dieu, qui, s’il avait agi selon une justice intransigeante, aurait du tuer également les premiers-nés de son peuple, assimilés aux égyptiens, le père doit racheter son fils premier-né à Dieu, en la personne de son « représentant » sur terre, le Cohen.
– La Qetoret, qui fait mourir et qui fait vivre, ainsi que relaté aux troisième et quatrième montées, contraste avec le peu d’importance qui lui est accordée par de nombreux fidèles du Chabbat matin, qui, en raison du fait qu’elle conclut l’office de Moussaf, donc à une heure tardive dans la matinée, discutent durant sa lecture. Or, Rabbi Chim’on bar Yohaï n’affirme-t-il pas, dans le Zohar, que si nous avions conscience de l’importance qu’elle revêt, nous ferions des couronnes de chaque lettre qui la compose ?
Étincelles d’action :
« Toute vie réelle est rencontre » (Martin Buber, Vienne, 1878-Jérusalem 1965).
Le Zohar dégage une leçon de vie essentielle de l’épisode de Kora’h, dont le nom semblait le prédestinait. Le Zohar explique en effet que Kora’h vient de kéréa’h qui signifie « chauve », la perte de cheveux « de part et d’autre » de la tête, pour reprendre les termes de cette œuvre majeure de la Kabbale, renvoyant à une double dépossession : Kora’h n’aura pas assumé sa fonction de lévite, et n’obtiendra pas celle, convoitée, de grand prêtre, dévolue à Aaron.
Ce que Martin Buber exprime ainsi : « Avec chaque homme vient au monde quelque chose de nouveau et qui n’a pas encore existé, quelque chose d’initial et unique. Il est du devoir de chacun en Israël de connaître et de prendre en considération qu’il est, au monde, unique dans son genre, et qu’aucun homme pareil à lui n’a jamais existé dans le monde, et il est appelé à accomplir sa vertu propre dans ce monde. Que ceci fasse défaut, voilà en vérité ce qui retarde la venue du Messie… Parole du Baal-Shem : « Que chacun agisse conformément au degré qui est le sien. Si tel n’est pas le cas, cependant, s’il saisit le degré de son compagnon, laissant échapper le sien propre, il ne réalisera ni celui-ci ni celui-là ». »
Martin Buber, Le chemin de l’homme d’après la doctrine hassidique, Editions Alphée, Monaco, 2007.
Moïse demande à Dieu de ne pas faire mourir Qôra’h et ses acolytes de mort naturelle mais de réaliser un prodige pour les anéantir. Nos sages en déduisent que la fin de vie, même si elle peut être pénible, rend toutefois possible la visite au malade, a contrario de la mort brutale que Moïse réclame pour l’assemblée séditieuse.
1 Comment comprendre ce « jusqu’au-boutisme » divin ? Qorah’ et sa bande, disaient-ils tout haut ce que beaucoup d’hébreux pensaient tout bas ?
2 Ce grand maître marocain a très peu écrit. Ses commentaires sont d’autant plus précieux.
3 Le nom d’Aaron est écrit sur le bâton de la tribu de Levi, les Cohanim provenant de celle-ci. Il ne faut pas oublier qu’Aaron était d’abord Lévi avant de devenir Cohen. Les Cohanim sont donc une subdivision des léviim. D’où l’expression fréquente dans la Bible, de HaCohanim Halviim, « les prêtres lévites ».
4 Au nombre de 24.
Voir aussi :
Lectures de « Qora’h » (GRJO)
Engloutis vivants
Le premier hérétique