La métaphore des parfums (2/2)

Juda et Issachar, respectivement quatrième et cinquième fils de Léa, se suivent dans les énumérations des fils de Jacob…

… aussi bien en Genèse 35, 22-26, immédiatement après l’inceste de Ruben,…
Les fils de Jacob étaient au nombre de douze. Fils de Léa: Ruben, premier-né de Jacob, Siméon, Lévi, Juda, Issacar et Zabulon. Fils de Rachel: Joseph et Benjamin. Fils de Bilha, servante de Rachel: Dan et Nephthali. Fils de Zilpa, servante de Léa: Gad et Aser. Ce sont là les fils de Jacob, qui lui naquirent à Paddan-Aram,
… qu’en Exode 1, 2-3, au début de l’Exode… :
Voici les noms des fils d’Israël, venus en Egypte avec Jacob et la famille de chacun d’eux : Ruben, Siméon, Lévi et Juda ; Issacar, Zabulon, Benjamin, Dan, Nephthali, Gad et Asher,
… et qu’en 1Chroniques, 2, 1-2 :
Voici les fils d’Israël. Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Issacar, (וִיהוּדָה יִשָׂשכָר, WYHWDH YSSKR), Zabulon, Dan, Joseph, Benjamin, Nephthali, Gad et Aser.

Dans le midrash chrétien, les deux noms fusionnent sous la forme Judas Iscariote.

Avec ce nom, Judas obtient les trente deniers de sa traîtrise, réminiscence des vingt pièces d’argent obtenues par Juda pour la vente de Joseph :
Matthieu 26, 14-16 : Alors l’un des douze, appelé Judas Iscariote, s’en alla vers les principaux sacrificateurs, et dit : Que voulez-vous me donner, et moi, je vous le livrerai ? Et ils lui comptèrent trente pièces d’argent. Et dès lors, il cherchait une bonne occasion pour le livrer.

Or cette vente de Jésus est immédiatement précédée par “l’onction de Béthanie”. Une femme répand un parfum de grand prix sur la tête de Jésus. Les apôtres s’indignent de ce gaspillage mais Jésus prend la défense de cette femme (Matthieu 12-13) :
En répandant ce parfum sur mon corps, elle l’a fait pour ma sépulture. Je vous le dis en vérité, partout où cette bonne nouvelle sera prêchée, dans le monde entier, on racontera aussi en mémoire de cette femme ce qu’elle a fait.“ (1)

Le récit parallèle de Jean, 12, 4-8, est :
Un de ses disciples, Judas Iscariote, fils de Simon, celui qui devait le livrer, dit: Pourquoi n’a–t–on pas vendu ce parfum trois cents deniers, pour les donner aux pauvres ? Il disait cela, non qu’il se mît en peine des pauvres, mais parce qu’il était voleur, et que, tenant la bourse, il prenait ce qu’on y mettait. Mais Jésus dit : Laisse–la garder ce parfum pour le jour de ma sépulture. Vous aurez toujours les pauvres avec vous, mais vous ne m’aurez pas toujours.

Maurice Mergui, architecte après Bernard Dubourg de l’“hypothèse midrashique“, explique : la problématique est l’entrée des païens dans l’Alliance (2); le parfum est une métaphore des mitsvot, de l’accomplissement des commandements divins ; Judas symbolise le peuple juif qui a reçu la Torah, qui a donc la “connaissance des temps”, ce qui explique Matthieu 26, 16 “Depuis ce moment, il cherchait une occasion favorable pour livrer Jésus“.

Or les Juifs s’inquiètent de ce que la Loi, sous sa forme nouvelle, devienne universelle (cette bonne nouvelle sera prêchée dans le monde entier). Ne peut-on craindre que les païens soient sauvés alors qu’ils n’ont pas supporté le joug de la Loi, et que les Juifs ne reçoivent plus la “récompense” de leurs mitsvot ? Ils seraient alors dits “pauvres” (Béthanie, Beyt ‘Any, בית עני, BYT ŒNY, c’est la maison du pauvre). Mais Jésus assure que le peuple juif ne disparaîtra pas avec lui : “Vous aurez toujours les pauvres avec vous, mais vous ne m’aurez pas toujours.“. Les temps messianiques ne différeront pas de l’ordinaire, à ceci près : les nations reconnaîtront l’élection d’Israël.

Il serait temps que les dictionnaires et encyclopédies usuels rétablissent l’étymologie de Judas Iscariote et la rapprochent de celle d’Issacar, אִישׁ שכָר, AYS SKR, Ish Sakar, “homme du salaire“ mais aussi “homme de la récompense“. Il serait temps de s’indigner que les noms de Judas, יְהוּדָה, Yehoudah, YHWDH, et des Juifs, יְהוּדִים, YHWDYM, Yehoudim, restent associés à l’argent, à la vénalité et à la trahison, plutôt qu’à la proclamation infinie de l’Unité de l’Humanité et de יְהוָה, YHWH, Adonaï, béni soit Son Nom.

À propos, pourquoi dit-on d’un texte, slogan ou tag antisémite qu’il est “nauséabond” ?
______________________
(1) Voir aussi Marc 14, 3-11. Luc 7, 36-50 ne cite pas Judas Iscariote dans ce passage.

(2) Voir La pécheresse pardonnée et Rahab sur le site «Le Champ du Midrash». Sur Bernard Dubourg, Maurice Mergui et le midrash, voir Réécrire l’histoire.

2 réponses à “La métaphore des parfums (2/2)”

  1. mllevy dit:

    En hébreu dans le Texte.
    Sommaire

    Voir aussi :
    *Translittération

    *Le Précepteur. Comment Moïse entreprit la Bible (Bookelis)
    *Aperçu sur Amazon
    *Recension par Jean-Pierre Allali

  2. mllevy dit:

    Pierre-Henri Reymond sur Facebook
    Un détail m’étonne! Pourquoi donc a-t-on mis un « s » à Judah?

    Michel Louis Lévy
    Pour distinguer le traître des Évangiles de Juda, fils de Jacob. Celui-ci vend son frère Joseph, tandis que l’autre vend Jésus. Voir Pierre-Emmanuel Dauzat « Judas. De l’Évangile à l’Holocauste » Bayard, 2006.

    Pierre-Henri Reymond
    Je veux bien, mais alors l’équivalence avec les 30 deniers tombe. En fait, je n’approuve pas ce genre de trafic. Merci tout de même pour l’information.

    Michel Louis Lévy
    En effet les 30 deniers correspondent à la valeur guématrique du nom de Judas YHWDH = 10+5+6+4+5 = 30. Mais Joseph, lui, est vendu pour 20 pièces d’argent. (Genèse 37, 28)

Envoyez un commentaire

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.