Ne pas connaître
On parle, avec un sourire entendu, de Connaître, au sens biblique. Mais quid de sa négation « Ne pas connaître » ?
L’expression négative לֹא יָדַע, LA YDŒ, Lo Yada’ , « ne pas connaître », est employée dans deux épisodes scabreux de la Genèse. Le premier, en Genèse 19, est celui des filles de Lot, qui couchent avec leur père, qui ne connaît ni son coucher ni son lever. Le second, en Genèse 39, est celui de la femme de Putiphar qui cherche, sans succès, à séduire Joseph. Dans cet épisode, c’est Putiphar, « Adon » de Joseph, qui ne « connaît » rien. (Voir citations plus bas).
לֹא יָדַע, LA YDŒ, Lo Yada’ , « ne pas connaître », est employé aussi …
… en Exode 1,8 « s’élève sur l’Egypte un nouveau roi qui n’avait pas connu Joseph (אֲשֶׁר לֹא־יָדַע אֶת־יוֹסֵף, ASR LA-YDŒ AT-YWXF, Achère Lo Yad’a Ète-Yossef).
… et dans le célèbre verset Isaïe 1, 3 :
Le bœuf connaît (יָדַע שׁוֹר, YDŒ SWR, Yada’ Chor) son acquéreur, l’âne la crèche de son maître, Mais Israël ne connaît pas (לֹא יָדַע, LA YDŒ, Lo Yada’), mon peuple n’a pas d’intelligence.
YDŒ, yada’, c’est « connaître », au sens biblique. C’est une erreur de limiter cette « connaissance » au rapport sexuel. Le bœuf n’a manifestement pas de rapport sexuel avec son maître, ni l’âne avec sa crêche, ils en ont une connaissance intime, instinctive, naturelle. Connaître une femme, au sens biblique, c’est en avoir une connaissance intime, instinctive, naturelle, c’est l' »épouser », au sens propre. « Connaître sa femme (son mari) », c’est la (le) « reconnaître » comme telle (tel).
D’ailleurs Genèse 24,16 montre que c’est une chose d’être vierge et une autre de n’avoir pas connu d’homme. Sinon, pourquoi répéter ?
La jeune fille (Rebecca) était très belle de figure, vierge, et nul homme ne l’avait connue (בְּתוּלָה וְאִישׁ לֹא יְדָעָהּ, BTWLH WAYS LA YDŒH, Betoulah VeIch Lo Yodé’ah)
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Genèse 19, 5-8, puis 32-35 :
Et ils appelèrent Lot, et lui dirent: Où sont les hommes qui sont entrés chez toi cette nuit? Fais-les sortir vers nous, afin que nous les connaissions (וְנֵדְעָה אֹתָם, WNDŒH ATM, VeNéde’ah Otam).Lot sortit vers eux à l’entrée, et ferma la porte après lui; et il dit: Je vous prie, mes frères, ne faites pas mal. Voici, j’ai deux filles qui n’ont point connu d’homme (לֹא־יָדְעוּ אִישׁ, LA-YDŒW AYS, Lo Yodé’ou Ich); laissez-moi les faire sortir vers vous, et faites-leur comme il vous plaira.
(…)
Allons, faisons boire du vin à notre ère et couchons avec lui, afin que nous conservions des enfants de notre père. Elles firent donc boire du vin à leur père cette nuit ; l’aînée vint se coucher avec son père. Et il ne connaît (וְלֹא־יָדַע, WLA-YDŒ, Velo Yad’a) ni son coucher ni son lever. Le lendemain, l’aînée dit à la plus jeune : j’ai couché hier avec mon père, faisons-le encore boire du vin cette nuit, viens coucher avec lui, afin que nous conservions des enfants de notre père. Elles firent donc encore boire du vin à leur père cette nuit ; la plus jeune vint se coucher avec lui. Et il ne connaît (וְלֹא־יָדַע, WLA-YDŒ, ni son coucher ni son lever.Velo Yad’a)
Genèse 39, 6-8 :
Il (Putiphar) abandonne tout ce qui est à lui dans la main de Joseph. Et il ne le connaît pas (וְלֹא־יָדַע אִתּוֹ, WLA-YDŒ ATW, VeLo-Yada Ito), sauf le pain qu’il mangeait. Et c’est Joseph, beau de tournure, beau à voir. Et c’est après ces paroles, la femme de son Adôn porte ses yeux sur Joseph et dit: « Couche avec moi. » Il refuse et dit à la femme de son Adôn: « Voici, mon Adôn ne me connaît pas (לֹא־יָדַע אִתִּי, LA-YDŒ ATY, Lo-Yad’a Iti), ni ce qui est à la maison: tout ce qui existe pour lui, il me l’a donné en main.(…) »
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Voir aussi
Joseph et Joseph
15 avril 2021 à 15:55
En hébreu dans le Texte.
Sommaire
Voir aussi :
Translittération
Le Précepteur. Comment Moïse entreprit la Bible (Bookelis)
15 avril 2021 à 22:48
Felix Asher Perez sur Facebook
Sur la quasi redondance exprimant la virginité de Rivka.
Selon Rachi elle était vierge dans 2 acceptions différentes.
A. Betoulah = Vierge
Au sens classique de l’hymen intact (hymen = béthoulé)
B. Qui n’avait pas connu d’hommes
Au sens de vierge sans rapports anaux antérieurs. Ainsi dit Rachi pratiquaient les trompeurs pour marier des filles apparemment sans rapports antérieurs
15 avril 2021 à 22:53
Merci, on peut lire ce commentaire de Rachi sur Sefarim, Genèse 24, 16
15 avril 2021 à 22:59
Felix Asher Perez sur Facebook
Le midrash chrétien est basé sur une nécessité théologique à 100% absente dans le judaïsme : Jésus fils de Dieu.
Si Jésus est à 100% démontré comme fils de Dieu, Joseph ne doit avoir aucune probabilité de jouer un rôle dans sa naissance. Marie doit dès lors nécessairement être vierge, ce qui garantit une conception miraculeuse c’est à dire par le biais de Dieu. CQFD.
Aucun rapport avec aucun midrash juif !
15 avril 2021 à 23:15
Allons ! Felix Asher Perez, ce n’est pas à vous, auteur de « Origines juives des fêtes chrétiennes« , qu’il faut démontrer les origines midrashiques de nombreux passages des Évangiles, y compris la Virginité de Marie et la Passion du Christ.
Parler d’origines midrashiques n’empêche pas de rechercher où se situe la discontinuité, évidente, entre les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament.
C’est même passionnant, et c’est le genre de discussion que j’aimerais susciter avec mes billets successifs « En hébreu dans le Texte ».
Merci de m’y aider.
16 avril 2021 à 13:09
Felix Asher Perez sur Facebook
Jesus fils de Dieu est un concept absolument absent de la Bible, du Midrash et du Talmud.
Levinas voyait là LE point essentiel de séparation du christianisme par rapport au judaïsme.
Dès lors, la virginité de Marie nécessitée théologiquement par ce concept spécifique du christianisme est aussi un concept spécifique chrétien.
D’ailleurs votre billet très intéressant comm d’habitude ne parle (en dehors de son titre) que de vierges dans la Bible juive. Et sur ce point précis j’apportais l’explication passionnante de Rachi concernant Rivka.
16 avril 2021 à 13:10
réponse à Felix Asher Perez
On peut citer Rachi et Levinas, mais aussi Spinoza (Traité Théologico-Politique, 1670), Thomas Mann (Joseph et ses frères, 1933-1943) et le père Michel Remaud : « Les “Écritures” citées par le Nouveau Testament étaient des Écritures déjà interprétées : les Targoum et le Midrash sont des maillons indispensables de la dynamique qui va de l’Ancien au Nouveau Testament » (Évangile et tradition rabbinique, Lessius, 2003).
16 avril 2021 à 13:13
Jean-Marc Pascolo sur Facebook
réponse à Felix Asher Perez :
Il y a aussi des chrétiens unitariens…
une mouvance catholique contestataire, réformatrice et non dogmatique (réunie en France au sein de la Fédération des réseaux des Parvis, en Belgique au sein de Pour un autre visage de l’Eglise et de la Société – Pavés -, et dans de nombreux pays dans Nous sommes aussi l’Eglise et autres mouvements).
Non seulement cette pratique pousse à respecter les itinéraires religieux et spirituels des autres, à plus de tolérance et d’ouverture, mais aussi elle sait organiser les échanges, à commencer par l’écoute attentive de la foi des autres, par le soucis de se rejoindre sur l’essentiel, parfois au-delà des énoncés et des balbutiements, par l’encouragement mutuel à s’exprimer.
16 avril 2021 à 13:26
Felix Asher Perez sur Facebook
réponse à Jean-Marc Pascolo
Je ne comprends pas le lien
Je suis en dialogue permanent avec les catholiques et protestants officiels en France et en Israël sans aucun problème y compris les dominicains et autres courants spécifiques. L’écriture de mon livre a renforcé nos liens sans aucune visée missionnaire et il a recueilli 75% de son public dans ces milieux (notamment dans les 3 meilleurs ouvrages de religion Valeurs Actuelles 2016)
17 avril 2021 à 14:39
Felix Asher Perez sur Facebook
120% en phase
Sauf pour Jésus fils de Dieu et quelques autres points
Cf. Levinas côté juif ou l’immense travail du Révérend Père Bonsirven côté catholique qui expliquent bien ce point essentiel de rupture de chaîne
Michel Louis Lévy
Merci pour Bonsirven. Voir aussi Yosef Klausner, le grand oncle d’Amos Oz. Shabbat Shalom !