Montées de « Vayehi »
La mort de Jacob, et celle de Joseph, clôturent le livre de la Genèse.
1) Jacob fait prêter serment à Joseph de l’enterrer dans le caveau de Makhpéla, où se trouvent son père et son grand-père. Il lui confie ensuite que ses deux enfants, Ménaché et Ephraïm, sont comme ses propres fils. Il en résulte qu’ils fonderont deux des douze tribus, bien que petits-fils de Jacob.
2) Jacob bénit Ménaché et Ephraïm, en croisant ses mains, de manière à poser la main droite sur la tête d’Ephraïm, pourtant plus jeune que Ménaché.
3) Joseph veut corriger le geste de son père, mais se voit expliquer qu’Ephraïm deviendra un plus grand peuple que son frère aîné. Un extrait de ces bénédictions est récité par les pères et mères, à l’adresse de leurs enfants, tous les vendredis soirs, après le Kiddouch : « Dieu te fasse devenir comme Ephraïm et comme Ménaché ! » (Genèse 48, 20).
4) Jacob bénit chacun de ses fils, choisissant la bénédiction qui correspond à sa personnalité singulière. Bénédictions de Ruben, Simon, Lévi, Juda, Zébulon, Issakhar et Dan.
5) Voir 4). Bénédictions de Gad, Acher, Naphtali et Joseph.
6) Voir 4). Bénédiction de Benjamin.Mort de Jacob, à cent quarante sept ans. Il est embaumé. Joseph respecte la volonté de son père d’être inhumé en terre de Canaan, après avoir obtenu l’accord de Pharaon. Toute l’Egypte se joint au deuil pris de Jacob. Les frères de Joseph craignent que celui-ci ne se venge, leur père n’étant plus de ce monde. Joseph leur garantit l’impunité.
7) Joseph fait à son tour jurer ses frères d’exhumer ses ossements pour les enterrer en terre de Canaan, lors de l’exode d’Egypte du peuple hébreu. Il meurt âgé de cent dix ans.
FIN DU LIVRE DE BERECHIT.
Le lien avec la Haftara :
Testament du roi David, avant sa mort. L’on retrouve la même expression que chez Jacob : « Les jours de David approchant de leur fin… » (Voir Genèse 47, 29). Ses dernières volontés font écho à celles de Jacob, notamment celle d’être enterrée en terre de Canaan.
Etincelles de mémoire :
Le deuil apparaît dans notre Paracha, comme, d’une part, la nécessité de pleurer la perte d’un être cher, et, d’autre part, comme celle d’accompagner le défunt lors de sa mise en terre. La lévaya, qui consiste à cesser toute occupation afin de suivre un cortège funéraire, constitue un commandement très important, inclus dans le commandement d’aimer son prochain comme soi-même.
Etincelles de réflexion :
Le premier verset de la Paracha, qui donne le nombre d’années de vie de Jacob, commence, curieusement, par les dix sept dernières années qu’il passa auprès de sa famille réunie, en Egypte, pour dire ensuite qu’il vécut cent quarante sept ans. Selon nos Sages, le fait d’avoir extrait ces dix sept années signifie qu’elles furent les seules années durant lesquelles Jacob eut le sentiment d’exister, tant elles furent heureuses. Les seules années qui méritèrent d’être qualifiées d’ « années de vie ». Ce verset constitue donc une méditation sur l’existence et sur ce que nous considérons être « nos meilleures années ». Toutefois, le second verset qui évoque les jours de Jacob qui « s’approchèrent de la mort », signifie, toujours selon nos Sages (en particulier, dans le Zohar), que chaque jour vécu par Jacob le fut pleinement, au sens où il s’efforça de n’en gâcher aucun, ayant une forte conscience de l’importance infinie de chacun des jours de son existence.
Etincelles d’action :
Le livre de la Genèse s’achève avec un tableau touchant : celui du patriarche Jacob bénissant ses enfants et petits-enfants (les fils de Joseph) avant de quitter ce monde.
Deux lectures récentes de ce moment de transmission m’ont interpellé.
La première, celle du Professeur Raphaël Draï, de mémoire bénie, consiste à y voir un Tiqoun (« réparation ») de la préférence affichée de Jacob pour Joseph à l’origine de tant de déboires familiaux. Il s’agit pour lui, à travers la bénédiction de chacun de ses fils, de leur manifester un amour qui s’étend désormais à chacun d’eux, dans la singularité et la personnalité qui les caractérise.
Nos sages ne manquent pas de souligner que les dix-sept dernières années de la vie de Jacob passées auprès de tous les siens en Egypte, furent les plus belles années d’une vie mouvementée, parce qu’harmonieuses, au sein d’une famille reconstituée.
La seconde lecture, je la dois à un politologue, spécialiste de l’islam, Olivier Roy, qui écrit dans Le Monde. Je remercie mon ami, Léo Keller, de l’avoir portée à ma connaissance.
Dans un article paru sous le titre « Le djihadisme est une révolte nihiliste » (que je vous invite à lire en totalité), ce professeur à l’Institut européen de Florence qui s’intéresse au profil des djihadistes, relève « la radicalisation de deux catégories de jeunes français, à savoir, des « deuxième génération » musulmans et des convertis « de souche ».
Ce qu’il y a « de commun entre les « deuxième génération » et les «convertis», c’est « une révolte générationnelle : les deux rompent avec leurs parents, ou plus exactement avec ce que leurs parents représentent en termes de culture et de religion ».
Ils adhèrent à l’islam salafiste parce que celui ci « rejette le concept de culture », parce qu’il constitue « un islam de la norme qui leur permet de se reconstruire tout seuls. Car ils ne veulent ni de la culture de leurs parents ni d’une culture « occidentale », devenues symboles de leur haine de soi. La clef de la révolte, c’est d’abord l’absence de transmission d’une religion insérée culturellement ».
Je ne peux m’empêcher de voir dans le moment final de la vie de Jacob, la tentative de parer précisément à cette « absence de transmission » dont nous subissons aujourd’hui les conséquences redoutables. Cette présentation de trois générations réunies dans cette péricope, par le lien de la Bénédiction, nous autorise à prétendre que la Bénédiction c’est peut être d’abord et avant tout, le maintien de ce lien intergénérationnel.
Rabbin Michaël Azoulay
Voir aussi
Lectures de « Vayehi » (GRJO)
Une assemblée de peuples
Le Cerf et le Loup