Montées de « Vayeshev »
1) Joseph est jalousé par ses frères en raison, d’une part de la préférence à son égard, affichée par son père (Jacob lui offre une tunique), et d’autre part, de ses rêves de domination sur ses frères qu’il n’hésite pas à leur raconter. Le Talmud déduira des conséquences funestes de cette rivalité, la nécessité pour les parents de ne pas manifester de préférence entre leurs enfants. Passim qui désigne la dite tunique, est l’acronyme de tous les soucis qu’elle générera pour Joseph : Pé de Potiphar (la femme du maître de Joseph qui accusera ce dernier d’avoir tenté de la violer, ce qui lui vaudra la prison), Samekh de So’harim, « marchands » entre les mains desquels va passer Joseph, Yod de Yichméélim, « ismaélites » et Méme de Midianim, « Midianites », qui sont les marchands en question.
2) Jacob envoie Joseph voir ses frères sur le lieu où ils faisaient paître leurs bétails. Après avoir projeté de l’assassiner, ils décident, sur le conseil de Ruben, de le jeter dans un puits. L’on relèvera la très belle phrase de Joseph, qui ne trouvant pas ses frères, demande à un homme : « Ce sont mes frères que je cherche… », quête qu’il incombe à chacun d’entre nous de mener tant la fraternité humaine ne se donne pas d’elle-même, mais exige des efforts.
3) Les frères de Joseph arrachent sa tunique et la maculent de sang (d’un chevreau) afin de faire croire à leur père qu’un fauve l’a dévoré, et après l’avoir jeté dans un puits, le vendent à des marchands qui se rendent en Egypte. Juda apparaît comme le meneur du groupe. Jacob refuse toute consolation. Joseph est finalement revendu à Potiphar, officier de Pharaon.
4) L’épouse de Juda conçoit trois fils : ‘Er, Onan et Shéla. Les deux premiers, mariés à Tamar, meurent prématurément. L’on apprend au passage la gravité de l‘onanisme (la masturbation), c’est-à-dire, de l’éjaculation en dehors du corps féminin (onanisme viendrait de Onan) et la loi du lévirat, Yiboum, en hébreu, qui veut qu’un frère épouse la femme de son frère si celui-ci est mort sans avoir d’enfant. Ce que Onan a fait en épousant Tamar qui était l’épouse de son frère aîné, ‘Er. Juda promet son dernier fils à Tamar mais ne compte pas tenir son engagement, pensant qu’elle est à l’origine de la mort des ses deux fils. Tamar se déguise alors en prostituée, voilant son visage, séduit Juda et tombe enceinte de ce dernier. Informé de la grossesse hors mariage de Tamar, le beau-père demande qu’elle soit mise à mort. Tamar, qui avait reçu un gage de Juda avant d’accepter de coucher avec lui, fait parvenir ce gage à son beau-père en faisant dire qu’elle est enceinte de celui à qui ce gage appartient. Juda, qui reconnait ces objets, admet qu’il est le futur père. Deux jumeaux naîtront de cette union pas très « juive » (pour ne pas dire « catholique », ce qui serait un anachronisme) : Pérets et Zéra’h. Le lecteur peut imaginer dans quel embarras ce récit a mis les commentateurs, d’où mon choix de le rapporter dans des termes parfois un peu crus. Lorsque l’on sait que le Messie sera issu de cette lignée, cela n’arrange pas nos affaires…
5) Le récit revient aux tribulations de Joseph, qui porte chance à son maître, Potiphar, au point que ce dernier le laisse gérer toutes ses affaires en pleine expansion.
6) L’épouse de Potiphar tente de séduire Joseph qui parvient à s’échapper in extremis. Elle se venge en prétendant que c’est lui qui a tenté de coucher avec elle. Joseph se retrouve jeté en prison, où il réussit aussi bien que chez Potiphar. Le geôlier lui confie la direction de la prison.
7) L’échanson et le panetier du roi d’Egypte, emprisonnés avec Joseph, lui racontent le rêve qu’ils ont fait durant la nuit, afin qu’il leur en donne l’interprétation adéquate. Joseph prédit la réintégration de l’échanson dans ses fonctions auprès du Pharaon et la condamnation à mort du panetier, au terme de trois jours. Son interprétation se réalise. Le Talmud en déduira que « les rêves suivent l’interprétation qu’on leur donne » et qu’il faut donc éviter de les raconter à une personne qui ne vous porte pas dans son cœur.
Le « fil rouge » qui unit la Haftara à la Paracha :
Le premier verset du prophète Amos (pas Oz), qui vécut au milieu du VIIIème siècle avant J.C., dans le royaume de Juda, fait le lien avec la vente de Joseph par ses frères, considérée par Dieu comme une faute inexpiable.
Etincelles de mémoire :
– L’expression française « bâton de vieillesse », vient peut-être de l’expression biblique ben zéqounim, « fils de vieillesse » (Genèse 37, 3).
– Le fil rouge que beaucoup affectionnent de porter autour du poignet (y compris Madonna et d’autres stars hollywoodiennes), trouve son origine dans la quatrième montée de cette Paracha. En effet, la sage-femme attache un « fil d’écarlate » au premier des jumeaux de Tamar qui sort le bras au moment de l’accouchement, avant d’être précédé par le second, expulsé avant lui. Selon le texte biblique, Tamar agit ainsi afin d’indiquer que « celui-ci était né le premier ». Cherchait-elle à le protéger du mauvais œil, redoutant qu’il ne meure comme ses deux maris, ‘Er et Onan. L’on retrouve ce fil rouge dans deux autres contextes, l’un positif, l’autre négatif. C’est un fil rouge qui permit à une femme de Jéricho d’échapper avec toute sa famille, de l’anéantissement de sa ville par l’armée de Josué, lors de la conquête de Canaan, en récompense d’avoir caché les espions envoyés par Josué avant ladite conquête. Elle obtint leur promesse de ne pas toucher à sa famille réfugiée dans sa maison, à la fenêtre de laquelle pendrait une corde rouge écarlate. Enfin, l’on retrouve le fil rouge dans la cérémonie du « bouc émissaire » de Kippour, que le Cohen Gadol (« Grand Prêtre ») poussait du sommet d’une montagne escarpée et qui mourait dans sa chute, pardonnant ainsi toutes les fautes d’Israël. Un ruban écarlate devenait miraculeusement aussi blanc que la neige, pour signifier ce pardon, conformément aux paroles du prophète Isaïe : « Si vos fautes sont aussi rouges que le fil écarlate, elles blanchiront comme la neige ». Tout le monde devrait donc porter un fil blanc plutôt que rouge. Ou se comporter de manière à ce que le fil rouge blanchisse. Ce qui est probablement moins aisé à obtenir…
Etincelles de réflexion :
L’on a bien du mal à comprendre que des frères de la dimension morale qui était celle des fondateurs des tribus d’Israël agissent de la sorte avec Joseph pour une sombre histoire de jalousie familiale. Et ce, d’autant plus qu’ils infligent une souffrance morale indicible à leur père, Jacob. De nombreuses explications ont été proposées, dont nous ne retiendrons qu’une, compte tenu de sa problématique actuelle. Joseph et ses frères s’opposaient quant à la posture que le futur peuple juif, qui serait issu d’eux, devrait adopter au sein des nations. Devra t-il s’en séparer, se ghettoïser, afin d’échapper au péril de l’assimilation, ou, au contraire, devra t-il, évoluer en elles, les fécondant de ses richesses spirituelles, et s’enrichissant de leurs différences ? Joseph soutenait la seconde option, alors que ses frères, et au premier chef, Juda, adhérait à la première, considérée comme la seule solution viable pour le peuple juif. Joseph devenait, dès lors, l’homme à abattre, ou devait prouver dans les faits, qu’il était possible de vivre au sein des non hébreux, tout en restant soi-même. L’envoyer en Egypte en constituerait le test.
Voir aussi :
Lectures de Vayeshev
Joseph vendu par ses frères
Connaître, c’est reconnaître
Tamar (Genèse) sur Wikipédia